samedi 28 novembre 2009

Le Nestlégate repartira pour un tour devant la justice pénale

MICHAËL RODRIGUEZ

VaudESPIONNAGE - Un militant brésilien a décidé de déposer plainte contre Nestlé et Securitas. Il aurait été espionné et enregistré à son insu.
Le dossier du Nestlégate devrait bientôt ressortir du tiroir où la justice pénale l'avait rangé. Franklin Frederick, militant engagé contre la privatisation de l'eau au Brésil, portera plainte contre Nestlé, Securitas et une taupe travaillant pour le compte de la multinationale. Il estime avoir été espionné, enregistré à son insu et fiché au moyen de rapports sur ses activités. Les faits se seraient déroulés au moins jusqu'en 2006, soit à une période où Securitas affirmait ne plus mener d'opérations d'infiltration.

Conciliation avortée

La décision de porter plainte a été annoncée hier matin après l'échec d'une audience de conciliation devant la Justice de paix de Vevey. Franklin Frederick et son avocat, Michel Chavanne, demandaient à Nestlé de s'engager à ne plus avoir recours à l'espionnage et de verser une indemnité symbolique de 4000 francs. Mais l'avocat de Nestlé, Christian Fischer, a refusé d'entrer en matière. Le militant altermondialiste a donc décidé de porter plainte, notamment pour violation de la protection des données.
Ce rebondissement fait suite à la publication, il y a un mois, d'un livre sur le Nestlégate. Dans «Affaire classée», le journaliste Alec Feuz pointe les défaillances de l'instruction pénale. Au motif que les faits étaient prescrits, parce que remontant à plus de trois ans, le juge d'instruction cantonal Jacques Antenen avait classé la plainte d'Attac.
En revanche, la procédure civile est encore en cours. Les neuf militants d'Attac, qui avaient été infiltrés par une agente de Securitas répondant au pseudonyme de Sara Meylan, demandent chacun 3000 francs et la publication du jugement dans la presse.


Rapport confidentiel

Ce qui a relancé le combat pénal? D'abord un document, déniché par la police vaudoise dans le disque dur d'un ordinateur remis à la justice par Securitas. Estampillé «confidentiel», il retrace le déroulement d'une conférence donnée le 10 octobre 2006 à Berne par Franklin Frederick. Sujet: la lutte contre l'appropriation des ressources en eau par Nestlé. Le militant y parle de son combat, en tant que leader du Mouvement brésilien de citoyenneté pour l'eau, contre le captage des sources de Sao Lourenço.
Ses propos y sont retranscrits à la virgule près, affirme-t-il. On y trouve aussi des informations sur quelques-uns des protagonistes de l'événement, parfois agrémentées de photos, ainsi que sur le nombre d'auditeurs et leur moyenne d'âge. Le rapport n'aurait pas été rédigé par Sara Meylan, mais par une autre taupe.
Selon Me Chavanne, l'enregistrement de cette conférence publique tomberait sous le coup du Code pénal. «On n'a pas le droit d'enregistrer quelqu'un à son insu», affirme-t-il. Le Code pénal vise pourtant des «conversations non publiques». Mais pour les adversaires de Nestlé dans cette affaire, il existe certainement d'autres documents, que la justice vaudoise ne s'est pas donné les moyens de trouver.
Au cours de son enquête, Alec Feuz a recueilli des indices montrant que «chez Securitas, au moins un autre ordinateur contient des pièces». Lors de l'instruction, Jacques Antenen avait refusé de perquisitionner chez Nestlé et Securitas.


Nestlé Brésil informé?

Sur la base de certaines coïncidences troublantes, Franklin Frederick soupçonne aussi Nestlé Suisse d'avoir transmis des informations sur son compte à Nestlé Brésil. «Donner des informations comme quoi je suis à tel moment à tel endroit, peut avoir des conséquences graves au Brésil, s'alarme le militant. La situation n'est pas comparable à la Colombie, mais il y règne une certaine violence. D'autre part, le gouvernement de Lula a un rapport très étroit avec Nestlé.» Si la transmission de données à Nestlé Brésil était prouvée, le problème de la prescription tomberait, assure Me Chavanne.
Franklin Frederick et son avocat espèrent que la justice vaudoise se montrera cette fois plus curieuse. Avec la nomination de Jacques Antenen à la tête de la police cantonale, c'est un nouveau juge d'instruction qui héritera de l'affaire. «On peut s'attendre à ce qu'il reprenne l'affaire depuis zéro», lance Michel Chavanne